A Jeanne Guérin
27 juin 1887
(Ici, bateau à voiles dessiné à la plume)
Ma chère petite Jeanne,
N'ayant pas l'artiste Darel pour me dessiner un bateau et voulant cependant en mettre un au haut de ma lettre, j'ai été obligée de me mettre moi-même à en gribouiller un. Je viens, ma chère Jeanne, t'ennuyer pendant quelques instants, j'espère que ta migraine est entièrement passée; maintenant que la grande Anglaise est partie tu seras moins tourmentée et bien sûr que tout le monde se portera beaucoup mieux. Je pense que tu es bien contente de ne plus entendre mes sermons sur la mort de ne plus voir mes yeux qui te fascinent et de ne plus être poussée en allant chez les demoiselles Pigeon. J'ai à vous annoncer la mort de huit de mes chers vers à soie, il ne m'en reste plus que quatre; Céline leur a prodigué tant de soins qu'elle est arrivée à me les faire mourir presque tous de chagrin ou d'apoplexie foudroyante; je crains beaucoup que les quatre qui restent n'aient attrapé le germe de la maladie de leurs frères et qu'ils ne les suivent dans le royaume des taupes. Cela me semble bien drôle de me retrouver aux Buissonnets, ce matin j'étais toute étonnée de me voir à côté de Céline. Nous avons parlé à Papa de l'aimable proposition que ma bonne tante nous avait faite, mais c'est absolument impossible parce que Papa part Mercredi et restera très peu de temps à Alençon cette fois-ci. Au revoir, ma Jeanne chérie, je t'aime toujours de tout mon coeur,
Thérèse
e.m